Longtemps considéré comme le moteur de la croissance
du secteur des technologies, lInternet connaît une série
de mutations qui pourraient rendre le développement des innovations
plus incertain. Le verrouillage technologique de larchitecture
de lInternet pourrait avoir des conséquences au-delà
du secteur des technologies.
De la loi de Moore
Avec le PC, la puissance sest rapprochée des utilisateurs
mais elle est restée pour partie « invisible ».
A mesure que les processeurs suivaient la loi de Moore, les systèmes
dexploitation et les applications devenaient plus exigeants
en terme de puissance. Nous avons alors connu lapogée
du PC avec le duopole technologique mis en place autour du tandem
« Wintel ». Mais après la généralisation
de linterface symbolique sur Windows, aucune avancée
ne sest produite jusquà lirruption du web
pour le grand public. Le web constituait alors une avancée
majeure des « fondamentaux » de lergonomie. LInternet
et le web ont alors transformé un agrégat de machines
« autistes » en une source dinformations et dinnovations
technologiques. Le mythe dune informatique aussi accessible
que lélectronique grand public prenait forme.
.à la fin de celle de Metcalfe ?
De la loi de Moore nous sommes passés à celle de Metcalfe
qui établit que la valeur du réseau croit avec le carré
du nombre de ses utilisateurs. Cette loi qui définit lattractivité
du réseau semble se heurter à ses limites. En effet
la complexité sous jacente des ordinateurs personnels représente
désormais un frein à lextension du PC vers les
populations non-technophiles. La « massification » que
daucuns imaginaient se heurte à des réalités
à la fois économiques et technologiques. Les terminaux
daccès conservant des prix élevés (héritage
de la montée en puissance régulière des PC à
prix constant). Et lindustrie du PC connaît des signes
de remise en question importants. Après de nombreuses tentatives
infructueuses pour créer de nouveaux marchés, les terminaux
dédiés redeviennent un objectif industriel au point
que certains spécialistes décrivent la disparition prochaine
des PC devenus trop complexes .
Parallèlement, dans lensemble des pays développés
lusage de lInternet est en phase de stabilisation. Et
lon note en particulier une désaffection vis-à-vis
de lexploration sur Internet. Le temps réservé
à la découverte diminue à mesure quune
poignée de sites concentrent lessentiel du temps passé
par les internautes.
Diversification des terminaux ou éradication des machines
universelles ?
Une autre conséquence de ce mouvement de concentration des
sources dinformations sur lInternet concerne les «
majors » du disque et du film. A mesure que lInternet
se transforme en plateforme de diffusion, des pressions sexercent
pour éviter que les technologies de lInternet et des
PC ne deviennent le « triangle des Bermudes » des groupes
de communication. Larchitecture du PC cette « machine
de Turing » capable dexécuter des fonctions diverses
est aussi lobjet des critiques des groupes de communication
qui y voient le maillon faible dans la distribution des contenus numériques.
En effet les risques de décryptage des informations sur les
PC sont beaucoup plus grands que sur des plateformes propriétaires.
Les « set-top boxes » dédiées permettent
en effet un contrôle plus strict des flux dinformations.
Linteropérabilité devient lun des points
critiques de cette nouvelle économie de la protection des uvres,
en effet les systèmes de protection des uvres (ou DRM
) rendent plus difficile voire impossible léchange entre
des plateformes différentes. Ainsi pour protéger les
intérêts des détenteurs de droits, les lois américaines
sur le copyright ont « criminalisé » les développements
logiciels dans le secteur du cryptage ainsi que dans le domaine des
applications de « pair à pair » comme Napster et
ses héritiers. Ces technologies qui comptent parmi les plus
prometteuses sont à la fois un objet et un vecteur des innovations
pour lensemble des usagers de lInternet et cela au dela
de leur utilisation actuelle pour léchange de fichiers
musicaux. Les innovations de lInternet sont prises dans un étau
technologico-juridique dont les conséquences pourraient sétendre
à lensemble des secteurs industriels.
Tentations et paradoxes du contrôle :
Plus encore, cest lunicité et la neutralité
des infrastructures de transport (aussi nommé principe du end
to end) qui est remis en question. Ce principe qui a assuré
le succès de lInternet veut que lintelligence (et
donc la puissance de calcul) soit située à lextrémité
des mailles du réseau. Le réseau ayant pour seule fonction
le transport des informations jusquaux utilisateurs situés
à ses extrémités. Mais pour lensemble des
acteurs des réseaux cest le contrôle de cette infrastructure
et sa « propriétarisation » qui permettra de mettre
en place les sources de revenus les plus importante au risque de remettre
en cause les fondements même de lInternet. Pour mémoire
les expériences menées jusqu'ici par les "majors"
en matière de vidéo à la demande ont toutes été
des échecs retentissants, comme celui "historique"
de Time Warner en 1997 à Orlando. Les terminaux dédiés
recréent les conditions dune recentralisation avec des
serveurs centraux puissants et des terminaux « stupides ».
Par ailleurs sur les réseaux à haut débit, les
usagers deviennent des consommateurs/téléspectateurs
et perdent progressivement leur capacité dauto-édition.
A terme, la conséquence de cette broadcastisation (ou télévisualisation)
de lInternet pourrait être lappauvrissement des
contenus et des services de lInternet.
Quelle révolution technologique ?
A mesure que ce contrôle sur larchitecture des systèmes
se met en place cest aussi la fragmentation de lInternet
qui se dessine et avec elle, les risques déjà sensibles
de désaffection du réseau. La question qui se pose désormais
est de savoir si les prochaines vagues dinnovations pourront
être liées aux réseaux ou sil nous faudra
attendre une hypothétique révolution technologique pour
quelles puissent se diffuser. LInternet a utilisé
le réseau téléphonique comme support pour son
extension, le « méta-réseau » qui utilisera
lInternet comme base nen est encore quà ses
balbutiements et sil est orienté vers une distribution
contrôlée des contenus il risque dêtre un
obstacle important aux innovations technologiques.
En ce sens, les arbitrages entre les différents acteurs (technologiques
et non-technologiques) de lInternet auront des conséquences
durables sur lensemble de nos sociétés.
Bernard Benhamou (bernard@netgouvernance.org)
est maître de conférence pour la Société
de lInformation à Sciences Po et membre du comité
de rédaction de la lettre de Cyber-Pouvoirs